Méthodologie : l'explication linéaire d'un texte littéraire (khâgne, licence, oral du CAPES)

09:08:00

Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, écrire un article sur l'explication linéaire est moins facile qu'il n'y paraît : c'est comme si j'avais toujours fait cet exercice, sans en connaître réellement la méthodologie. Maintenant que je me retrouve à devoir l'enseigner au tutorat, un petit article récapitulatif s'impose :) (pour les L3 de la Sorbonne qui seraient intéressés, on se retrouve sur La méthode Anissa pour en parler ! )

Les élèves en prépa, ceux en licence ou ceux préparant le concours du CAPES doivent apprendre à faire une explication linéaire, à l'oral comme à l'écrit. Cet exercice vise principalement des textes assez courts -25 à 35 lignes- et pouvant être extraits d'endroits divers de l'oeuvre, même si je remarque le plus souvent une préférence pour les extrémités-incipits et introduction- ainsi que pour les textes singuliers : tirades, description, anomalies dans le récit...Petit exemple d'anomalie : Jean Jacques Rousseau qui à la fin de la première partie des Confessions, interrompt la chronologie et parle de sa sortie en catimini d'un théâtre, alors beaucoup plus âgé. Le choix des textes, qui vise la singularité, doit vous aider à comprendre une règle primordiale de l'explication linéaire (c'est parti, on commence la liste...) 


  •  L'explication linéaire repose sur une ambivalence : on étudie UN texte SINGULIER, mais au reflet de ce qui l'entoure et de sa place dans l'économie de l'oeuvre. En effet, votre problématique aura plus de pertinence si en plus de vous interroger sur le fonctionnement interne, vous prenez en considération l'importance de ce texte dans l'oeuvre entière. Par oeuvre, j'entends tout aussi bien roman entier que recueil de poésie, pièce de théâtre que court chapitre d'essai. Dans le cas d'un poème entier (mais également pour d'autres œuvres), observer les pages précédentes et suivantes aide énormément : votre poème est certes un objet littéraire à lui seul, mais est également pris (ou non) dans une logique d'oeuvre : il peut être une part d'une suite de poèmes, un petit bijou d'écriture chez un auteur, qui ne ressemble à rien d'autre. En bref, prenez le temps, au moins au début, d'étudier le cadre de votre texte. 
  •  Par cadre on entend également le paratexte habituel, qui est dans le cas de l'oral du CAPES assez inconnu -quoique l'on choisisse des textes très connus- et totalement connu en L3 et à l'ENS puisque cela porte sur des textes au programme. Le cadre doit lui être aussi traité de manière assez fine : on ne vous demande pas de réciter toutes vos connaissances sur l'auteur ou l'oeuvre en question, mais de tout de même prendre en compte quelques données de ce paratexte. Exemple : extrait d'une description de personnage dans un roman de Balzac : on ne va sûrement pas vous demander de raconter toute la visée de Balzac dans la Comédie Humaine, mais il est certain que des termes comme "type" ou "physiognomonie" dans le cadre du portrait physique feront leur effet :) Il peut arriver que l'extrait ou l'oeuvre soit assez singuliers chez l'auteur (cas de la pièce de théâtre le Faiseur de Balzac), pour autan, il faut apprécier avant tout le texte pour ce qu'il est : que dise et que sont, en terme d'écriture ces 30 lignes ? 
  • Tous les textes ne sont pas faciles à comprendre, et certains sont même capables de nous rebuter au point de ne pas réussir à les pénétrer du tout : dans ce cas là, la difficulté peut entrer dans la recherche d'une problématique. Pas avec des phrases comme "comment ce poème est complètement impossible à comprendre", ni des "je comprends R" mais avec des petits indices sur la difficulté à saisir le sens, une poétique du mystère etc... :) 
  • L'explication linéaire ne s'appelle pas à commentaire composé car : ça n'en est pas un ;) Même si vous trouvez des faits stylistiques qui se répètent, n'allez pas baser votre problématique dessus. Vous devez suivre le mouvement du texte, ne pas le mélanger, aller du début à la fin et évitez les retours (tournez les ainsi "Comme vu au début du texte, le champ lexical de...") 

La méthode, en soi : 

Après une première lecture, j'aime assez observer les extrémités du passage afin de me demander "à quoi suis-je passée ?". L'extrait a enfin une certaine cohérence interne, des limites qu'il faut rapidement comprendre : intérêt d'une tirade, poésie d'une description, sens d'un dialogue... La formulation de la problématique tente le plus souvent d'unir deux éléments clés : le fait stylistique et le sens. On se demande toujours "Quel effet pour quel sens ?" afin de ne pas tomber dans deux écueils; la recherche stylistique poussée sans interprétation, et l'interprétation sans faits stylistiques qui se transforme le plus souvent en interprétation vide, loin du texte. 

I've got mes faits stylistiques, I've got mon interprétation...UGHHHH...explication linéaire ! 

Cette première lecture est également le bon moment pour se demander si l'extrait correspond au genre et au sous genre dont il est extrait : s'agit il d'une chose classique ou singulière ? Qu'en est-il de la typographie ? De l'usage des blancs ? Si vous disposez d'un dictionnaire,n'hésitez pas à retrouver le sens de tous les mots qui vous échappent! 

Le découpage des parties, ou "mouvements" repose sur des indications diverses : en essayant de ne pas être en dessous de 3 et au dessus de 5 mouvements, il faut découper le texte à partir de blancs typographiques, changements de paragraphes, de thème, passage au dialogue, conjonction de coordination, mouvements de l'élocution rhétorique etc... Il est assez bon de donner un titre, afin de ne pas s'emmêler, mais surtout, de vous aider à vous demander si vous poursuivez une certaine cohérence entre les parties, et si chacune de ces parties vous aident à répondre à la problématique que vous vous êtes donnée ! 

Donc : 

parties qui ne répondent pas à la problématique = problématique trop étroite.
Problématique sans rapport avec les parties = problématique trop large ou HS. 

Qu'est ce qu'on analyse ? 

Tout ce qui vous sert dans votre problématique ! Je ne dis pas que certains faits ne sont pas à analyser, mais que si vous avez choisi la problématique adéquate, vous n'avez pas à vous perdre dans mille interprétations différentes, mais seulement à poursuivre un fil problématique. Vous n'analysez pas ce pour quoi vous ne pouvez donner d'interprétations, ou plutôt : vous faites suivre d'une interprétation tous les relevés de faits stylistiques, qui sont les suivants : 

x typographie : alinéa, usage des blancs, des marges, partage des paragraphes...
x articulations logiques : conjonction de coordination, absence de conjonctions de coordinations, usage des temps, partage entre la description et le dialogue, le récit etc...
x figures de style, tropes : en poésie comme dans les autres genres, leurs relevés précis aidés d'une interprétation pertinente -chiasme dans la tirade amoureuse, métaphore lyrique... - c'est toujours très bien récompensé!
x en poésie (mais ailleurs aussi): rythme des phrases, sonorités, rimes... 
x au théâtre : importance du texte comme adressé aux personnages et au public !
x champs lexicaux, sémantiques
x énonciation 

Il ne s'agit ici que d'une courte liste, mais c'est aussi votre propre sensibilité qui vous aidera à aller plus loin dans l'analyse du texte ! 

L'introduction suit toujours le même schéma, relativement simple. Ecrivez le au début de votre feuille afin de toujours le suivre, car il possède une certaine logique : 
  1. Présentation du texte : paratexte, auteur, oeuvre, place dans l'oeuvre, voire dans le chapitre/l'acte/la scène. 
  2. Explication du passage : caractérisation, description des enjeux
  3. Lecture (dans le cadre de l'oral) : n'allez pas vous lancer dans une séquence opéra de votre passage mais ayez une lecture enjouée, qui doit-et cela est le cas dans les bonnes prestations- nous indiquer les grands enjeux du passage. 
  4. Exposé de la problématique : reprenez la "soustraction" du début et de la fin de votre passage, vous pouvez aller jusqu'à citer, et exposez ensuite votre problématique de manière claire. 
  5. Exposé des mouvements: j'ai appelé cela "parties" lors du brouillon mais il s'agit bel et bien de mouvements du texte, dont il est bon d'expliquer rapidement la logique. Exemple "suivant le procédé de l'oraison funèbre, on peut partager ce texte selon les quatre temps de l'élocution rhétorique..."
à l'oral, à l'écrit : 

Les exigences n'y sont évidemment pas les mêmes, mais les écueils si : on a souvent tendance à paraphraser le texte avec des relevés phrase par phrase suivis d'une interprétation, bonne ou mauvaise. Or, cela donne une drôle d'impression : êtes vous en train de reprendre le travail fait pendant le brouillon, en reprenant vos relevés de faits ?

Si vous croyez votre interprétation bonne, si vous revenez en effet à votre problématique à la fin de chaque mouvement, n'hésitez pas à la donner avant le fait littéraire : telle interprétation grâce à tel fait. Vous devez re-raconter le processus de ce texte, ce qui a pu animer l'auteur à le produire, à le construire. Des phrases comme "Stendhal propose ici une description x de la pièce, précise comme l'indique les indications -exemple du texte" donne l'impression que vous dirigez l'explication et que vous avez su surmonter la première étape de relevé pour aller plus loin dans le texte. 

A l'oral comme à l'écrit, l'interprétation du texte n'est pas unique : vous serez étonnés du nombre de bonnes manières d'étudier un texte! Cela doit donc vous montrer que vous avez votre part de manœuvre dans l'explication linéaire, et que vous êtes celui qui dirigez cette explication. Nul besoin d'exclusivement poursuivre votre texte : vous l'avez lu et décortiqué, à vous de l'expliquer! 



Sinon... 

3 euros c'est le prix d'un demi grec, d'un sandwich et d'une canette au supermarché, de beaucoup de bouquins en brocante mais surtout : du manuel de Figures de style dans la collection Librio ! Un livre hyper chouette, très bien fait que vous pouvez trouver sur Amazon entre autre ! Je l'utilise souvent car il est ce qu'il se fait de plus complet et compact ! Cela dit, vos profs distribuent souvent des catalogues de figures macro et microstructurales : utilisez-les ! 

J'écrirai évidemment un autre article sur l'oral du CAPES où il sera question de mon entraînement à l'explication linéaire :) Cela dit : lecture, lecture, et lecture ! Cela aide énormément pour ne pas se sentir "piégés". 

Les séances de tutorat que je donne à la Sorbonne sont ouvertes aux étudiants de L3, plus particulièrement aux élèves de Monsieur Alix et de Madame Gahungu : on s'y entraîne à l'explication linéaire et à la dissertation sur les textes qu'ils mettent au programme. Ces séances ont lieu le mardi matin de 9h30 à 11 en D665 et le mercredi après midi de 13h30 à 15h en F368. :)

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Bonne lecture et à très vite! 
Anissa E. 


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